Un gentilhomme fougerais Julien Augustin Le Tanneur, Sieur
des Villettes dont le nom est à peu près tombé dans l'oubli, a joué
un rôle important dans notre contrée au cours de la Révolution.Né à Fougères le
4 mars 1756, il y trouva la mort le 22 mai 1793
à la suite de la sentence du Tribunal Criminel.
Son activité lors du soulèvement contre-révolutionnaire du 19 mars 1793 a été
évoquée par nos historiens locaux : Le Bouteiller, Emile Pautrel, Lemas.
Monsieur de Pontbriand en fait mention au chapitre premier de son ouvrage sur
le Général du Boisguy et la venue récente en notre région de l'un de ses
distingués arrières neveux résidant à Paris Monsieur Charles Le Tanne ur, en
vue, selon sa propre expression, d'un pèlerinage aux sources de sa f a mille,
a permis de recueillir de sa bouche des détails ignorés sur ce personnage,
compatriote, ancien compagnon d'armes, et enfin lieu tenant de cet autre
illustre fougerais, le Marquis de la Rouërie.
Julien Augustin Le Tanneur était le troisième fils de Christophe, seigneur de
Malhére et de Françoise Charlotte Le Pannetier. La terre de Malhére est située
sur le territoire de la commune de Laignelet à un kilomètre du clocher à
quelques pas du chemin vicinal qui conduit à Landéan. Cette seigneurie relevait
de la Motte Anger en Le Loroux et c'est en 1693 qu'elle passa. dans la famille
Le Tanneur à la suite d'une acquisition. On peut encore voir de nos jours
l'ancien logis à la toiture en pente de l'époque Louis XIII surmontant un
vaste porche et, non loin de là, un moulin en ruines porte un blason sur le
linteau de sa grande porte. Outre cette terre seigneuriale, les Le Tanneur
possédaient un hôtel particulier dans l'impasse de la rue de L'Aumaillerie
(aujourd'hui rue Chateaubriand). C'est la maison à tourelle visible de la
place d'Armes, résidence actuelle de M. Désiré Lechat. C'est en ces murs que naquit
notre personnage le 4 mars 1756, il devait par la suite prendre le titre de
"des Villettes". Il appartenait en effet à une famille de cinq
enfants : son frère aîné François Joseph né le 25 janvier 1754, sieur de le
Provostière devait épouser Perrine Reite, dame des Orières de deux ans plus âgée
que lui. Entraîné lui aussi dans la conspiration de la Rouërie, il prit part à
différents combats autour de Fougères et notamment au combat sanglant de
l'Angevinière qu'une croix commémorative élevée en 1938 par les soins de M.
Etienne Aubrée rappelle à dix kilomètres de Fougères sur la route d'Ernée.
Victime d'une grave blessure à la cuisse, il dût pour cette raison abandonner
le rôle actif de combattant et se chargea de recruter pour les armées
royalistes. C'est à ce titre qu'il fut arrête à Fougères le 31 janvier 1796,
jugé le 3 mars et fusillé le lendemain.
La famille Le Tanneur se composait également de Françoise Julienne, née en
1751, de Christophe Michel moine franciscain, né le 20 septembre 1752, et
décédé le 13 décembre 1821, et enfin d'un plus jeune fils René Marie, sieur des
Pomerets, né le 12 septembre 1757 et décédé le 27 juillet 1830 qui crevait
tenter plus tard de soustraire à la confiscation les biens de son frère
condamné à mort.
Mais revenons à Julien Augustin. On ne sait rien de son enfance , adulte il
était parvenu à la belle taille de 5 pieds sept pouces soit 1 mètre 81, ce qui
lui valut d'être admis à Versailles en qualité de garde du corps de Louis XVI.
Comme beaucoup de jeunes nobles de son époque, il devait prendre part à la guerre
d'Indépendance des Etats-Unis entre 1775 et 1783 sous les ordres de son
compatriote Armand Tuffin Marquis de la Rouërie, de cinq ans son aîné, et qui
au côté de La Fayette devait s'y distinguer sous le nom de « colonel Armand ».
Comme La Rouërie l'avait fait, pour orner sa propriété de Saint-Ouen, Le
Tanneur rapporta pour sa terre du « Châtel " en Landéan un jeune tulipier
de Virginie devenu depuis un arbre imposant toujours visible et étonnamment
vivace qui chaque année à Pâques se pare d'une foule de pétales immaculés
ourlés d' un mauve céleste et qui, de loin, comme disait Chateaubriand fait
penser à un gros bouquet de fiancée de village.
Monsieur Le Tanneur demeurait pourtant célibataire ; délaissant sa charge près
du souverain on ne sait pour quelle raison et revenu de la guerre il se fixa au
Châtel, terre de trois journaux, nous prec1se M. Pautrel. Il y résidait déjà en
1785 puisque le livre de paroisse nous révèle qu'à cette époque il était maire
de Landean et qu'en cette qualité il mit son signe au décès de son voisin de
campagne Alexandre Du Bellay, descendant du poète angevin qui expira à La
Touche à l'âge de 87 ans.
C'est sur cette terre du Châtel, le millésime de 1787 en fait foi qu'il
construit une gentilhommière à l'âge de 31 ans. Hélas, Julie Augustin ne devait
pas en jouir longtemps ! terre de plaisance pourtant où à l'ombre de l'immense
forêt toute proche, il faisait bon vivre, partageant ses occupations entre
l'administration de la commune et les plaisirs de la chasse, solitaire il est
vrai, puisqu'une seule domestique qui lui était dévouée corps et âme assurait
son service jusqu'au moment où en haine de son maitre elle fut traquée et
condamnée par contumace ; terre historique enfin et riche de grands souvenirs
puisque ce fut au Châtel sur l'emplacement du château de la Forêterie,
rendez-vous de chasse des barons de Fougères que l'un d'eux Henri 1er, fonda
l'abbaye de Rillé.
Mais il nous faut arracher Monsieur Le Tanneur aux délices de son existence
campagnarde ; l'horizon pour lui s'est assombri comme pour tant d'autres ; les
idées révolutionnaires ont fait leur chemin et il est devenu suspect aux
autorités du district. Il a dû céder son titre de maire à son voisin et ami
Thomas La Touche qui devait lui-même plus tard être mis à mort en haine de sa
foi. Thomas suspect à son tour dût bientôt se démettre de ses fonctions au
profit de son voisin Julien Bossard. Mais si l'écharpe changeait de titulaire
les convictions demeuraient inébranlables. Qu'ils fussent nobles, simples
campagnards ou petits bourgeois, les maires successifs de Landéan resteront
fidèles à l'Eglise et au roi jusque dans leur supplice.
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C'est dans cet hotel particulier avec une petite tour, visible depuis la place Aristide Briand, qu'est né Julien LE TANNEUR DES VILLETTES en 1756 |
Arrivons donc à la date mémorable du 19 mars 1793 qui devait consommer la perte
de Le Tanneur. C'était l'époque secrètement fixée par La Rouërie pour le
soulèvement général dans l'Ouest. Mais La Rouërie n'est plus. Par la loi du 29
février, la patrie étant déclarée en danger, la Convention a décrété une levée
en masse de trois cent mille recrues pour l'étendue du territoire. Pour sa part
l'Ille-et-Vilaine est taxée au chiffre de 3.120. C'est ainsi que Fleurigné doit
vingt hommes, Parigné vingt-sept, Landéan trente, entre 18 et 30 ans
célibataires ou veufs. Fougères, chef-lieu du district, plus favorisée s'en
tire avec le chiffre de quarante-trois. Or dans tout l'Ouest et
particulièrement dans notre région fougeraise l'état d'esprit des campagnes se
prêtait mal à cette levée en masse. Porter les armes pour la République
équivaut à une trahison pour tous ces mobilisables, blessés qu'ils sont dans
leurs convictions profondes par la persécution religieuse qui ferme leurs
églises et traque leurs prêtres ! Déjà décidés à la désertion, ils se laissent
facilement convaincre de partir au combat. Ils n'ont pourtant que des bâtons ou
de vieux fusils à pierre ces sept mille hommes et jeunes gens accourus de 21
communes et parfois de dix lieues à la ronde et qui dès le matin remplissent la
bourgade de Landéan !
L'atmosphère est lourde de menaces comme elle l'était la veille à Laignelet et
à Fleurigné où les opérations du recrutement en raison de l'effervescence ont
dû prestement être suspendues. Cependant l'un des administrateurs du district
Foubert dit « Grand Mou lin "• propriétaire des moulins à papier de Pont
Dom Guérin et de Malagra, en La Bâzouge-du-Désert, aidé du juge de paix Guérin,
originaire du Loroux a fait dresser l'estrade tricolore de la commission de
recrutement contre l'auberge de madame veuve Guérin, en bordure du grand chemin
de Caen. On cherche Monsieur le Maire pour les aider dans la besogne et au
besoin pour leur prêter main forte. Monsieur le Maire se tient calfeutré en sa
maison de la Touche par souci de ne point se compromettre. Il ne parviendra
sur les lieux qu'un peu plus tard. Mais Julien Augustin Le Tanneur est là et
tout donne à penser qu'il s'affaire au milieu de cette foule qui partage ses
ardentes convictions. L'opération du recrutement ne tourna point à la faveur de
la République. L'estrade est prise d'assaut, les insignes piétinés,
l'administrateur et le juge insultés et battus et ils eussent été
implacablement mis en pièces si Le Tanneur et Monsieur le Maire Bossard, enfin
sorti de sa réserve, ne les avaient prudemment entraînés et mis en sûreté sous
clef pendant deux heures dans la sacristie. C'est de là qu'ils s'enfuirent secrète
ment en rasant les buissons pour regagner leur résidence.
Cette foule en révolte, qui s'est donné un général et des lieutenants va
maintenant décider audacieusement de marcher sur Fougères.
L'expédition militaire improvisée entraîne des femmes avec elle : La veuve
Guérin aubergiste, la Quinton, veuve Martin et sa fille ; et naturellement la
fidèle domestique de Le Tanneur.Tout ce monde va se concentrer à l'orée de la
forêt, au lieudit Recouvrance, où se voit toujours la croix, en face la maison
forestière. Mais tout à coup une chaise de poste surgit de la direction de
Louvigné, occupée par deux personnages importants de la Convention :
Billaud-Varenne et Sevestre, en tournée d'inspection. Ils viennent de Mortain
et vont à Rennes. Arrêtés par la foule surexcitée ils sont dégagés par Le
Tanneur et Bossard auxquels ils suggèrent habilement d'engager des négociations
avec Fougères. La colonne se met donc en marche et s'arrête à la Verrerie,
d'où sept délégués dont Le Tanneur et Bonnard sont envoyés au Directoire du
district. Habilement rassérénés par le maire de Fougères, Lesueur, les délégués
reviennent vers la foule hurlante qui s'est avancée jusqu'à Belair, sur
l'emplacement de notre actuel Hôtel-Dieu, mais la foule ne veut rien entendre
et repart en avant.
Les Gardes nationaux sortent de Fougères ; une brève échauffourée, quelques
coups de fusil et de canon et les insurgés se dé bandent. Il y a des morts et
des blessés. Le soir venu, un lugubre cortège retourne vers Landéan. Le Tanneur
et quelques compagnons fidèles portent sur leurs épaules les corps
ensanglantés.
C'est ce qui est entré dans l'histoire sous le nom de « Rassemblement ou
révolte de la Saint-Joseph ». Le châtiment ne tarda pas. Il fut exemplaire.
Conformément au décret de la Convention du 19 mars, le Directoire du District
nomma une commission militaire qui condamna à mort cinq habitants de Parcé. Le
maire Bossard, la Quinton veuve Martin et sa fille furent remis au Tribunal
Criminel d'Ille-et-Vilaine. Apprenant qu'on le recherchait, Julien Augustin
Le Tanneur se présenta loyalement devant ses juges. Son interrogatoire n'a pas
été conservé : on sait seulement qu'il revendiqua pour sa défense le mérite
d'avoir dégagé la voiture des conventionnels. Bossard et les femmes Martin
furent emprisonnés au château d'où ils parvinrent à s'échapper quelques jours
plus tard. Mais Le Tanneur convaincu d'avoir participé à un attroupement
séditieux dans la " commune scélérate " fut condamné à mort avec
exécution dans les 24 heures et confiscation de ses biens. En outre la contumace
fut prononcée contre la domestique de Le Tanneur qui demeurait cachée.
Le jugement fut exécuté le lendemain 22 mai 1793 sur la petite douve ou place
d'Armes. C'est donc à quelques pas de sa maison natale que Le Tanneur subit son
sort tragique. Il gravit courageusement les marches de " l'aimable
guillotine"» comme disaient ces messieurs du Tribunal, prenant la suite de
Jean Brault fils, de Parcé, et de Joseph Painblanc, officier municipal de
Laignelet. Lorsque vint son tour le couperet usé par les exécutions précédentes
ne parvint pas à lui trancher la tête et le bourreau dut achever sa besogne au
couteau. On jugea bon de donner une leçon aux gens de Landéan en décrétant que
la tête de Le Tanneur serait immédiatement transportée dans cette commune et
fichée sur le clocher, cependant que son corps était jeté dans la fosse des
indigents. C'est ainsi que les choses s'accomplirent. La gentilhommière de Le
Tanneur connut le pillage et la ruine avant d'être mise à l'encan Le plus jeune
frère de la victime René, sieur des Pommerets essaya mais en vain d'acquérir
ces dépouilles et la maison connut différents occupants. Quand au tulipier de
Virginie, il se mit à croître vaille que vaille comme un enfant sans père mais
en dépit de mutilations regrettables il a pu grâce à sa vigueur nous être
transmis en beauté.
La mort de Le Tanneur, loin de pacifier la contrée ne fit qu'exciter les
rancunes et les règlements de compte. Landéan subit une répression rigoureuse.
Son église fut profanée et transformée en corps de garde, ses habitants
connurent le régime d'occupation, les emprisonnements, les amendes et comme
s'il s'agissait de rayer la commune de la carte, ses registres furent
transportés à Parigné et à La Bâzouge.
En l'an 1794 deux nouvelles têtes de suppliciés vinrent rejoindre sur le
clocher celle de Le Tanneur : La tête de Thomas La Touche, ancien maire lui
aussi et qui mourut après une admirable profession de foi catholique, celle de
Julien Bossard le maire de la Saint Joseph qui échappé du château de Fougères
devait être repris un an après dans la cachette de la Cornulais. Lorsque ces
temps affreux prirent fin un officier républicain passant à Landéan aperçut
sur l'édifice les misérables trophées et cette vue émut son cœur d'honnête
homme, il donna l'ordre qu'on les détachât et les enveloppant dans des linges
blancs il en fit remise aux famil1es Thomas et Bossard qui les reçurent avec
l'émotion que l'on devine. Mais personne de son nom n'étant là pour recevoir
le dépôt funèbre de Julien Augustin, on l'enfouit au cimetière proche de
l'église, lui procurant enfin le suprême repos.
A cette étude, il convient d'ajouter d'intéressantes précisions sur le clocher
tragique. N'est-ce point toujours le même qui domine la bourgade de sa
silhouette sans grâce et que vous connaissez tous ? Dussent être mises en
défaut la légende et aussi les assertions d'historiens locaux, ce n'est point
le contemporain de la Révolution ! En effet si l'on ouvre le livre de paroisse
avec la bienveillante autorisation de Monsieur Charles Place, curé de Landéan,
on note que le 29 avril 1715 la cloche Emmanuelle Anne Marie nommée par
Vénérable et discret Messire Guillaume Hameau, prieur recteur de Landéan, comme
on disait à l'époque, a été placée dans le campanier situé du côté de
l'évangile. Il faut dire que l'église à cette époque se composait d'une nef
unique et le campanier en question devait être édifié sur le versant nord de la
charpente.En 1719 une deuxième cloche vient rejoindre l'autre, bénite par Vincent
Hameau, chanoine régulier de Saint-Augustin et prieur de Landéan, en présence
du recteur du Loroux et de l'abbé Malle, chapelain de la Communauté fougeraise
des Urbanistes.
Enfin en 1758 le campanier s'enrichit d'une troisième cloche « La Grosse » qui
reçoit les onctions d'un personnage de marque et voisin par surcroît « Messire
Frain de la Villegontier », docteur en Sorbonne, originaire de Parigné.
Continuons à feuilleter les documents dans la suite des âges. Le livre de
paroisse est désormais rédigé par Messire Olivier Verdier, décédé curé de
Landéan en 1909 après un ministère paroissial de trente ans. C'est un esprit
subtil et caustique. Monsieur Verdier commente l'œuvre de l'un de ses
prédécesseurs Monsieur Joseph Durocher, chef spirituel de la paroisse sous la
Restauration. Ce prêtre a reçu la tâche de réparer les immenses dommages causés
à la chrétienté locale par la Révolution au spirituel comme au temporel et il
s'y emploie avec fermeté. C'est ainsi qu'il s'attaque aux Louisets nombreux,
comme on l'imagine, à Landéan, et il s'efforce non sans peine de les ramener à
l'obédience de Rome. Il restaure l'église, construit les deux chapelles des
bas-côtés, garnit le chœur de lambris, achète des vases sacrés. Tout cela est
fort bien, mais aux yeux de l'abbé Olivier Verdier, il commet un crime impardonnable
car il jette en bas le campanier arrosé du sang des martyrs pour le remplacer
(on lit textuellement) par ce ...... « on ne sait quoi " cet affreux
clocher, ce pigeonnier et ce vandalisme se situe en l'an 1826.
Et pourtant moins d'un an après, Monsieur Durocher reçoit une distinction :
l'ordonnance du roi Charles X datée du 25 février pour la récompenser de ses
souffrances et du sang versé élève la paroisse à la dignité de cure et Monsieur
Durocher en sera le premier bénéficiaire. L'actuel clocher de Landéan datant
de 1826 n'est donc point le campanier de Le Tanneur.
Gens épris des souvenirs du passé, ne cherchez plus sous sa lanterne d'ardoise,
l'ombre désolée de Julien Augustin. Allez plutôt l'évoquer tout près de cette
maison qu'il édifia pour y couler d'heureux jours et qui le vit partir pour le
supplice, ou encore sous la ramure vigoureuse de cet arbre rare, apporté jadis
dans ses bagages et qui, chaque année, par sa prestigieuse floraison, oppose à
la folie des hommes l'admirable leçon de sa beauté et de sa paisible harmonie.
Docteur POIRIER
Bulletin et mémoires de la société archéologique et historique de
l'arrondissement de Fougères Tome II (1958)